Reprinted with the kind permission of La Scena Musicale.
La Scena Musicale - Vol. 3, No. 4 Décembre / December 1997
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(c) La Scena Musicale 1997

Rescigno dirige La Walkyrie
Entrevue en anglais par Wah Keung Chan
traduction par Aimé Lamoureux

Rescigno photo (6383 bytes)Lorsque le grand chef Joseph Rescigno a pris la direction artistique de l’Orchestre Métropolitain de Montréal, il y a un an et demi, il nourrissait parmi ses ambitions, celle de diriger le premier acte de l’opéra La Walkyrie, de Richard Wagner. Le 29 janvier 1998, son rêve deviendra réalité quand il dirigera un concert mettant en vedette Linda Roark-Strummer dans le rôle de Sieglinde, Jon Fredric West dans celui de Siegmund et Edward Russell qui jouera Hunding. Lors de son entretien avec La Scena Musicale, le maestro nous a parlé de La Walkyrie et des futurs projets de l’OrchestreMétropolitain de Montréal dans le domaine de l’opéra.

SM : Qu’est-ce qui vous a attiré dans La Walkyrie ?

JR : Comme vous le savez, je suis le directeur artistique del’Opéra florentin, à Milwaukee, dans le Wisconsin. En 1992, j’ai dirigé La Walkyrie lors des célébrations de leur soixantième anniversaire. Ce qui est merveilleux dans les opéras de Wagner, c’est que beaucoup d’actes peuvent constituer des drames complets en eux-mêmes. La Walkyrie peut être divisée en deux histoires : le premier acte en est une, et les actes II et III en sont une autre. La structure de l’Acte I de La Walkyrie se suffit à elle-même. L’Acte I de Parsifal et tous ceux de L’Or du Rhin peuvent aussi être présentés en concert, comme l’a fait Solti avec l’Orchestre symphonique de Chicago au Carnegie Hall. Pour l’auditoire, La Walkyrie est une oeuvre très accessible parce qu’elle ne demande pas le type de préparation ou de connaissance requise par des opéras tel qu’Elektra. Comme l’Acte II de Tristan et Isolde, l’Acte I de La Walkyrie comporte certaines des pages musicales romantiques les plus extatiques composées jusqu’ici. De plus, son montage est relativement peu coûteux : il ne requiert que trois chanteurs et les décors ne sont pas vraiment nécessaires puisqu’il s’agit d’un drame psychologique. Il est plus facile de trouver une soprano Sieglinde qu’une Brünhilde ou une Elektra. Je connais deux excellents Siegmund. Malheureusement, les meilleurs Wotan coûtent une fortune. Nous avons dépensé beaucoup d’argent pour les trois solistes, même si le Conseil des arts et des lettres a réduit deux fois les subventions accordées à l’Orchestre Métropolitain. Si nous réussissons à remplir en bonne partie la salleWilfrid-Pelletier, notre situation financière sera bonne, maissi nous ne vendons que la moitié des billets, nous aurons des problèmes. J’espère qu’il y a suffisamment de personnes à Montréal qui désirent entendre cette oeuvre déjà présentée ici dans les années 70, sous la direction de Franz-Paul Decker.

SM : Comment abordez-vous l’oeuvre de Wagner ?

JR : Je dirige Wagner comme je dirigerais une grande symphonie, de Mahler par exemple. La musique est difficile à jouer pour l’orchestre mais pas autant que celle d’Elektra. Avant d’étudier La Walkyrie, je croyais que la section en fugue après la chevauchée des Walkyries (principalement dans l’Acte II, scène IV) serait la plus difficile. Mais dans la pratique, j’ai trouvé que les moments vraiment exigeants sont les parties statiques où il faut maintenir l’intensité malgré les tempi lents. Au début de l’Acte I par exemple, après la tempête, durant le monologue difficile et dans la scène «Todgeweihten » entre Brünhilde et Siegmund de l’Acte II, scène IV. À ces endroits, les musiciens doivent réellement se concentrer; Wagner a écrit là de nombreux passages critiques pour les tubas et il y a un risque constant de fléchir à cause de la lenteur des tempi. Diriger du Wagner ressemble à un problème mathématique où l’on travaille les relations entre les tempi et les valeurs de notes. Ainsi, lorsque Sieglinde chante son premier aria « Der Männer Sippe », elle raconte l’histoire de son mariage et de quelle façon l’épée s’est retrouvée dans l’arbre; il y a une place marquée sehrlebhaft lorsque le tempo change. La plupart des gens n’imaginent pas à quel point cela doit être rapide. Si l’on choisit le bon tempo, le reste de l’acte se déroule bien. Jusque là, les tempi sont vaguement reliés entre eux, de manière épisodique. Mais à partir de ce moment, l’interrelation devient très stricte. Si le tempo est juste (je choisis un tempo qui est le double du précédent) lorsque Siegmund fait son entrée et à la fin de sa petite section suivante, une pulsation du nouveau tempo en 9/8 «Wintersturme », une noire pointée, devrait équivaloir à la moitié de la mesure précédente. Malheureusement, ce que l’on entend souvent aujourd’hui ce sont des accelerandos et des ritardandos à la jonction des sections. À mon avis, c’est presque le plus mauvais endroit pour faire cela. Quand les tempi vagabondent de section en section, ça devient ennuyant. Dans Wagner, la plupart des changements se produisent au milieu des sections parce que la forme dans son ensemble est trop longue. Pour savoir où ils se trouvent, il faut beaucoup de prévoyance. Chez Wagner, il n’y a habituellement qu’un ou deux points culminants par acte. Il est important de les planifier minutieusement car beaucoup de chefs se laissent emporter.

SM : Où est le point culminant de l’Acte I ?

JR : Il y a un point culminant secondaire lorsque Siegmund appelle son père : « Père, Père, où est mon épée ?». Le second « Père» doit être plus long que le premier. C’est un grand moment, un cri primal de cet homme adressé à son père. Le principal sommet, c’est quand Siegmund retire l’épée del’arbre, pianissimo ! Pour moi, l’apogée de l’émotion de tout l’opéra n’est pas à l’endroit le plus sonore. C’est l’adieu de Wotan à la toute fin.

SM : Et la distribution ?

JR : J’ai travaillé avec les trois chanteurs auparavant. Linda Roark-Strummer chantait le répertoire italien mais je l’ai encouragée à essayer l’allemand, Wagner et Strauss, qui conviennent à sa voix et à son tempérament. Linda a chanté sa première Ariane avec moi en 1990 dans une émission de la PBS et ce sera sa première Sieglinde. Le ténor Jon Fredric West, notre Siegmund, se spécialisait aussi dans le répertoire italien mais sa carrière a débouché vraiment lorsqu’il a commencé à chanter en allemand. J’espère que les solistes se produiront sans partitions.

SM : Quels sont les enregistrements de LaWalkyrie que vous aimez ?

JR : Solti est merveilleux. Aussi, j’admire la version de Leinsdorf avec Nilsson comme Brünhilde et Vickers en Siegmund. Mais je ne suis pas un grand amateur de disques. Je désapprouve l’utilisation de disques pour apprendre la musique.

SM : Est-ce que Strummer poussera son cri quand Siegmundre tirera l’épée de l’arbre ?

JR : J’en doute. Le cri n’était pas une idée de Richard Wagner. Il fut introduit à Bayreuth par son petit-fils Wieland pour Léonie Rysanek, qui l’a réussi merveilleusement. Pour moi, le cri devrait être orgasmique parce que c’est cathartique. Siegmund retirant l’épée de l’arbre comporte sûrement un symbolisme phallique, mais il symbolise aussi le concept d’un nouvel âge. L’épée est l’arme de l’homme nouveau tandis que la lance est celle de l’homme primitif ou des dieux anciens, comme dans la légende du roi Arthur.

SM : Qu’y a-t-il d’autre au programme de ce concert ?

JR : J’ai décidé de consacrer le concert entièrement à Wagner. Nous allons commencer avec les ouvertures Les Maîtreschanteurs de Nuremberg et Le Vaisseau fantôme et après l’entracte nous ferons La Walkyrie.

SM : Avez-vous d’autres projets d’opéra en version concert avec l’Orchestre Métropolitain ?

JR : Oui, je prépare un opéra pour la prochaine saison. En ce moment, je peux seulement dire qu’il est dans le style de Wagner et qu’il s’agit d’un divertissement familial. J’aime le répertoire allemand, mais j’ai l’impression qu’il a été négligé par l’Opéra de Montréal et par l’OrchestreSymphonique de Montréal, peut-être parce qu’il est si difficile à jouer. Il pourrait constituer un créneau intéressant pour l’Orchestre Métropolitain. Généralement, je veux trouver des oeuvres vocales qui n’ont pas été présentées beaucoup à Montréal. Les Wesendonk Lieder de Wagner, les lieder de Strauss, les cycles de Mahler et le Rinaldo de Brahms sont possibles. J’envisage la possibilité d’exécuter quelques oeuvres de Richard Strauss avec l’Orchestre Métropolitain. Je ne crois pas qu’Elektra, Die Frau ohne Schatten ou Capriccio ont été faites. L’Opéra de Montréal est déjà en train de préparer le Salome de Strauss, ce qui nous laisse Elektra qui pourrait être réalisé sans mise en scène parce qu’il ne requiert essentiellement que trois personnes. S’il y a à Montréal suffisamment d’amoureux de musique vocale pour nous soutenir, je serais heureux de produire un opéra en concert à chaque année.


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