Rescigno dirige La Walkyrie
Entrevue en anglais par Wah Keung Chan
traduction par Aimé Lamoureux
Lorsque
le grand chef Joseph Rescigno a pris la direction artistique de lOrchestre
Métropolitain de Montréal, il y a un an et demi, il nourrissait parmi ses ambitions,
celle de diriger le premier acte de lopéra La Walkyrie, de Richard
Wagner. Le 29 janvier 1998, son rêve deviendra réalité quand il dirigera un
concert mettant en vedette Linda Roark-Strummer dans le rôle de Sieglinde, Jon
Fredric West dans celui de Siegmund et Edward Russell qui jouera Hunding. Lors
de son entretien avec La Scena Musicale, le maestro nous a parlé de La
Walkyrie et des futurs projets de lOrchestreMétropolitain de Montréal
dans le domaine de lopéra.
SM : Quest-ce qui vous a attiré dans La Walkyrie ?
JR : Comme vous le savez, je suis le directeur artistique delOpéra florentin, à Milwaukee, dans le Wisconsin. En 1992, jai dirigé La Walkyrie lors des célébrations de leur soixantième anniversaire. Ce qui est merveilleux dans les opéras de Wagner, cest que beaucoup dactes peuvent constituer des drames complets en eux-mêmes. La Walkyrie peut être divisée en deux histoires : le premier acte en est une, et les actes II et III en sont une autre. La structure de lActe I de La Walkyrie se suffit à elle-même. LActe I de Parsifal et tous ceux de LOr du Rhin peuvent aussi être présentés en concert, comme la fait Solti avec lOrchestre symphonique de Chicago au Carnegie Hall. Pour lauditoire, La Walkyrie est une oeuvre très accessible parce quelle ne demande pas le type de préparation ou de connaissance requise par des opéras tel quElektra. Comme lActe II de Tristan et Isolde, lActe I de La Walkyrie comporte certaines des pages musicales romantiques les plus extatiques composées jusquici. De plus, son montage est relativement peu coûteux : il ne requiert que trois chanteurs et les décors ne sont pas vraiment nécessaires puisquil sagit dun drame psychologique. Il est plus facile de trouver une soprano Sieglinde quune Brünhilde ou une Elektra. Je connais deux excellents Siegmund. Malheureusement, les meilleurs Wotan coûtent une fortune. Nous avons dépensé beaucoup dargent pour les trois solistes, même si le Conseil des arts et des lettres a réduit deux fois les subventions accordées à lOrchestre Métropolitain. Si nous réussissons à remplir en bonne partie la salleWilfrid-Pelletier, notre situation financière sera bonne, maissi nous ne vendons que la moitié des billets, nous aurons des problèmes. Jespère quil y a suffisamment de personnes à Montréal qui désirent entendre cette oeuvre déjà présentée ici dans les années 70, sous la direction de Franz-Paul Decker.
SM : Comment abordez-vous loeuvre de Wagner ?
JR : Je dirige Wagner comme je dirigerais une grande symphonie, de Mahler par exemple. La musique est difficile à jouer pour lorchestre mais pas autant que celle dElektra. Avant détudier La Walkyrie, je croyais que la section en fugue après la chevauchée des Walkyries (principalement dans lActe II, scène IV) serait la plus difficile. Mais dans la pratique, jai trouvé que les moments vraiment exigeants sont les parties statiques où il faut maintenir lintensité malgré les tempi lents. Au début de lActe I par exemple, après la tempête, durant le monologue difficile et dans la scène «Todgeweihten » entre Brünhilde et Siegmund de lActe II, scène IV. À ces endroits, les musiciens doivent réellement se concentrer; Wagner a écrit là de nombreux passages critiques pour les tubas et il y a un risque constant de fléchir à cause de la lenteur des tempi. Diriger du Wagner ressemble à un problème mathématique où lon travaille les relations entre les tempi et les valeurs de notes. Ainsi, lorsque Sieglinde chante son premier aria « Der Männer Sippe », elle raconte lhistoire de son mariage et de quelle façon lépée sest retrouvée dans larbre; il y a une place marquée sehrlebhaft lorsque le tempo change. La plupart des gens nimaginent pas à quel point cela doit être rapide. Si lon choisit le bon tempo, le reste de lacte se déroule bien. Jusque là, les tempi sont vaguement reliés entre eux, de manière épisodique. Mais à partir de ce moment, linterrelation devient très stricte. Si le tempo est juste (je choisis un tempo qui est le double du précédent) lorsque Siegmund fait son entrée et à la fin de sa petite section suivante, une pulsation du nouveau tempo en 9/8 «Wintersturme », une noire pointée, devrait équivaloir à la moitié de la mesure précédente. Malheureusement, ce que lon entend souvent aujourdhui ce sont des accelerandos et des ritardandos à la jonction des sections. À mon avis, cest presque le plus mauvais endroit pour faire cela. Quand les tempi vagabondent de section en section, ça devient ennuyant. Dans Wagner, la plupart des changements se produisent au milieu des sections parce que la forme dans son ensemble est trop longue. Pour savoir où ils se trouvent, il faut beaucoup de prévoyance. Chez Wagner, il ny a habituellement quun ou deux points culminants par acte. Il est important de les planifier minutieusement car beaucoup de chefs se laissent emporter.
SM : Où est le point culminant de lActe I ?
JR : Il y a un point culminant secondaire lorsque Siegmund appelle son père : « Père, Père, où est mon épée ?». Le second « Père» doit être plus long que le premier. Cest un grand moment, un cri primal de cet homme adressé à son père. Le principal sommet, cest quand Siegmund retire lépée delarbre, pianissimo ! Pour moi, lapogée de lémotion de tout lopéra nest pas à lendroit le plus sonore. Cest ladieu de Wotan à la toute fin.
SM : Et la distribution ?
JR : Jai travaillé avec les trois chanteurs auparavant. Linda Roark-Strummer chantait le répertoire italien mais je lai encouragée à essayer lallemand, Wagner et Strauss, qui conviennent à sa voix et à son tempérament. Linda a chanté sa première Ariane avec moi en 1990 dans une émission de la PBS et ce sera sa première Sieglinde. Le ténor Jon Fredric West, notre Siegmund, se spécialisait aussi dans le répertoire italien mais sa carrière a débouché vraiment lorsquil a commencé à chanter en allemand. Jespère que les solistes se produiront sans partitions.
SM : Quels sont les enregistrements de LaWalkyrie que vous aimez ?
JR : Solti est merveilleux. Aussi, jadmire la version de Leinsdorf avec Nilsson comme Brünhilde et Vickers en Siegmund. Mais je ne suis pas un grand amateur de disques. Je désapprouve lutilisation de disques pour apprendre la musique.
SM : Est-ce que Strummer poussera son cri quand Siegmundre tirera lépée de larbre ?
JR : Jen doute. Le cri nétait pas une idée de Richard Wagner. Il fut introduit à Bayreuth par son petit-fils Wieland pour Léonie Rysanek, qui la réussi merveilleusement. Pour moi, le cri devrait être orgasmique parce que cest cathartique. Siegmund retirant lépée de larbre comporte sûrement un symbolisme phallique, mais il symbolise aussi le concept dun nouvel âge. Lépée est larme de lhomme nouveau tandis que la lance est celle de lhomme primitif ou des dieux anciens, comme dans la légende du roi Arthur.
SM : Quy a-t-il dautre au programme de ce concert ?
JR : Jai décidé de consacrer le concert entièrement à Wagner. Nous allons commencer avec les ouvertures Les Maîtreschanteurs de Nuremberg et Le Vaisseau fantôme et après lentracte nous ferons La Walkyrie.
SM : Avez-vous dautres projets dopéra en version concert avec lOrchestre Métropolitain ?
JR : Oui, je prépare un opéra pour la prochaine saison. En ce moment, je peux seulement dire quil est dans le style de Wagner et quil sagit dun divertissement familial. Jaime le répertoire allemand, mais jai limpression quil a été négligé par lOpéra de Montréal et par lOrchestreSymphonique de Montréal, peut-être parce quil est si difficile à jouer. Il pourrait constituer un créneau intéressant pour lOrchestre Métropolitain. Généralement, je veux trouver des oeuvres vocales qui nont pas été présentées beaucoup à Montréal. Les Wesendonk Lieder de Wagner, les lieder de Strauss, les cycles de Mahler et le Rinaldo de Brahms sont possibles. Jenvisage la possibilité dexécuter quelques oeuvres de Richard Strauss avec lOrchestre Métropolitain. Je ne crois pas quElektra, Die Frau ohne Schatten ou Capriccio ont été faites. LOpéra de Montréal est déjà en train de préparer le Salome de Strauss, ce qui nous laisse Elektra qui pourrait être réalisé sans mise en scène parce quil ne requiert essentiellement que trois personnes. Sil y a à Montréal suffisamment damoureux de musique vocale pour nous soutenir, je serais heureux de produire un opéra en concert à chaque année.
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